La peur ne crie pas toujours. Elle agit aussi en silence. Et parfois, elle prend les commandes de nos choix les plus précieux.
On pense fuir ce qui nous fait mal.
Et sans le savoir, on s’y dirige.
Ce texte fait echo au rendez-vous de Téhéran sur la peur et ses paradoxes.
Il y a quelque chose de profondément paradoxal dans la peur : elle nous pousse parfois exactement vers ce que nous cherchons à fuir.
Étonnant, non ?
Tout réside dans une nuance subtile :
ce n’est pas tant la peur elle-même qui pose problème, mais la manière dont nous la vivons et l’interprétons.
Encore faut-il en avoir conscience…
On pourrait croire qu’en agissant à l’inverse de notre peur, on parviendra à la dépasser.
Pourtant, si cette réaction est motivée par une blessure intérieure non reconnue, elle risque de produire l’effet inverse.
Voici deux histoires issues de séances de travail.
Elles mettent en lumière deux blessures fondamentales :
la peur de l’abandon,
et celle du rejet.
Et en toile de fond, des mécanismes inconscients qui finissent par nous enfermer.
1. Aimez-moi !
Une maman me confie, la voix tremblante, que ses deux enfants ont rompu tout contact avec elle.
Elle ne comprend pas.
Elle dit leur avoir tout donné : des « Je t’aime » quotidiens, une présence constante, un dévouement sans limite.
Alors, pourquoi cet éloignement ?
En écoutant son histoire, j’apprends qu’elle a grandi dans un désert affectif. Peu d’amour reçu de ses parents. Pas de gestes tendres, pas de mots rassurants. Un environnement dur pour un enfant… et une blessure d’abandon profondément enracinée.
Elle s’était alors fait une promesse : ses enfants ne vivraient jamais ce qu’elle avait vécu.
L’intention était noble. Mais c’est là que le paradoxe s’installe.
Elle leur a offert l’amour qu’elle aurait voulu recevoir, sans voir que leurs besoins étaient différents.
Ses enfants, eux, n’avaient pas connu le même manque. Ce trop-plein d’amour, dicté par la peur, est devenu envahissant, parfois étouffant.
Quand ils tentaient d’exprimer leur malaise, elle se sentait attaquée, comme s’ils reniaient tout ce qu’elle avait offert.
Sa blessure se réactivait à chaque remarque, déclenchant un mécanisme de défense.
Un cercle vicieux s’est alors mis en place :
plus elle tentait d’aimer, plus elle étouffait.
Plus elle étouffait, plus ses enfants s’éloignaient.
Et ce qu’elle redoutait le plus s’est produit.
Non pas lié à tout l’amour donné, mais en conséquence de ce qui le guidait en silence :
la peur de revivre l’abandon.
2. Ne m’approche pas !
Autre histoire, autre peur : celle du rejet.
Certaines personnes, par peur d’être rejetées, prennent les devants.
Elles adoptent des comportements qui leur permettent de contrôler — voire de provoquer — le rejet, avant qu’il ne les surprenne.
L’une de ces stratégies : l’agressivité.
Un homme vient me consulter.
Il arrive en moto, façon « rebelle solitaire ». Grande carrure, regard dur. Il dégage une énergie intimidante, presque hostile.
Il s’assoit, sans un mot.
Il m’explique qu’il a du mal à créer des liens, qu’il ne comprend pas pourquoi les gens gardent leurs distances.
Et cela l’affecte profondément.
Je lui propose alors de lui faire part de ce que je ressens à son contact.
Je lui partage aussi ceci : un style, une manière d’entrer en relation, peut sembler anodine — ou simplement personnelle.
Et pourtant, elle traduit souvent des peurs et des désirs silencieux.
Ce n’est pas un problème en soi. Mais il est précieux d’en connaître l’existence.
Je l’invite à explorer ce qu’il a vécu, ce qui a forgé cette carapace.
Très vite, l’émotion monte.
Cet homme, qui tient tout le monde à distance, a lui-même été un enfant rejeté, harcelé, blessé.
Et pour ne plus jamais ressentir cette douleur, il a appris à faire peur.
« Mieux vaut être redouté qu’exclu. »
Je ne dis pas que c’est la vérité, mais c’est ce que je perçois très clairement ici.
Ce mécanisme, je l’ai vu tant de fois qu’il me semble évident. Et pourtant, je sais qu’il peut ne pas résonner pour tout le monde.
Cette protection, devenue réflexe, provoque justement l’isolement qu’il cherche à éviter.
Sortir du pilote automatique
Ces deux récits illustrent un même principe :
tant que nos choix sont dictés par une peur non reconnue, nous ne sommes pas vraiment libres.
Nos comportements deviennent des stratégies de survie.
Et comme beaucoup de stratégies inconscientes, elles finissent par se retourner contre nous.
La clé, c’est de reconnaître ce qui alimentent nos décisions.
C’est à partir de cette conscience que naît la liberté de choisir.
Choisir des actions qui ne répondent plus à la peur,
mais à ce qui est réellement bon pour nous…
et pour ceux qui nous entourent.
Car ce que nous montrons ou donnons aux autres — nos postures, nos silences, nos défenses — dit souvent bien plus que ce que nous croyons.
Les apparences ne sont pas trompeuses. Elles trahissent ce que nous protégeons — parfois au détriment de nos aspirations profondes.
Et vous ? Quelles peurs pourraient orienter vos choix ?