Ce désir de se “libérer” de certaines émotions est devenu un objectif répandu.
Comme si la preuve qu’on allait bien passait par ne plus rien ressentir de désagréable.
Je l’ai longtemps cru aussi.
Que ressentir de la colère, c’était un échec. Que la peur me rendait moins solide. Que si j’allais “bien”, je ne devrais plus avoir à traverser tout ça.
Et pourtant…
Le terme “émotion négative” n’est pas neutre.
Pourtant, c’est celui qu’on retrouve partout : dans les discours, les livres, les accompagnements.
Il trahit un élan sincère : celui de vouloir aller bien.
Mais en nommant l’émotion comme un problème,
on finit par la traiter comme telle —
et à rejeter ce qu’on ressent
(comme si c’était ça, le problème).
Les occasions de ressentir des émotions sont nombreuses.
Que ce soit dans le couple, au travail, avec les enfants…
Il suffit d’arriver agacé du travail pour être moins patient avec son conjoint, ses enfants.
Une réponse trop rapide, un ton qui monte sans qu’on le veuille.
Et déjà, une petite voix murmure :
“Je ne devrais pas réagir comme ça.”
La spirale commence.
On doute de soi.
On minimise ce qu’on ressent.
On se juge d’être trop sensible…
jusqu’à se couper complètement de ce que l’émotion voulait dire au départ.
Ce simple mot, « négative », change tout : il colore ce qu’on ressent, oriente notre réaction, transforme un signal en menace, un vécu en faute.
Il suppose qu’il existe de “bonnes” émotions —
et d’autres qu’il faudrait faire taire, ou éliminer.
Ce rejet-là crée souvent bien plus de souffrance…
que l’émotion elle-même.
Un mot, si familier, suffit à conditionner notre manière d’être avec ce qu’on ressent.
Et à force de croire que certaines émotions sont à éliminer, on enclenche des mécanismes intérieurs… qui renforcent ce qu’on voulait fuir.
1. Ça crée une lutte intérieure
qui intensifie la souffrance ressentie.
C’est comme ignorer quelqu’un qui essaie de vous parler.
Vous l’incitez à parler plus fort, encore et encore, jusqu’à ce que vous finissiez par l’écouter.
Et peut-être que vous avez de bonnes raisons de détourner l’attention — le message dérange, la forme vous heurte, l’intensité est trop brute.
Pourtant, ce qu’on tente d’éviter finit par revenir plus fort encore.
2. Notre cerveau amplifie ce qu’il redoute
Le biais de négativité entre en jeu.
Notre cerveau est câblé pour repérer ce qui menace.
Il zoome. Il rumine. Il amplifie.
Un mot mal interprété.
Un silence ambigu.
Une émotion surgit.
Une émotion qu’on juge déplacée, excessive, injustifiée.
Et voilà que l’émotion s’emballe, portée non pas par le réel, mais par notre attention focalisée sur l’inconfort.
3. On finit par se juger soi-même
Si l’émotion est “négative”, la ressentir devient une faute.
“Je devrais être au-dessus de ça.”
“Je suis trop sensible.”
“Je ne suis pas censé ressentir ça.”
On ne rejette plus seulement l’émotion.
On rejette qui l’on est dans ces moment-là.
4. On passe à côté de son message
Une émotion n’arrive jamais sans raison.
Elle indique un besoin non entendu, une limite franchie, une valeur touchée.
Mais si on tente de la faire taire trop vite,
on coupe l’alarme sans chercher la source de la fumée.
On éteint le bruit,
mais pas ce qu’il signale.
5. On nourrit un idéal émotionnel inaccessible
La culture du “bien-être permanent” nous pousse à croire qu’être bien,
c’est ne plus jamais ressentir de colère, de peur ou de tristesse.
Mais cette idée est irréaliste, et toxique.
Elle pousse à cacher ce qui déborde, à minimiser ce qui pèse,
à se juger dès qu’un inconfort surgit.
La paix intérieure ne vient pas de l’absence d’émotions difficiles.
Elle vient de notre capacité à les accueillir et à répondre à leur demande.
C’est pas toujours simple.
Mais c’est possible.
Alors, que faire ?
Changer notre vocabulaire, c’est déjà changer notre rapport à ce que l’on vit.
Parler d’émotions désagréables, inconfortables, intenses…
plutôt que « négatives ».
Ce glissement sémantique ouvre la porte à une autre posture :
celle qui accueille, au lieu de censurer.
Parce qu’au fond, les émotions ne sont pas des dysfonctionnements.
Ce sont des messagères.
Et tant qu’on ne les écoute pas,
elles insistent.
C’est leur rôle, après tout.
Mais si elles sont là pour nous dire quelque chose… alors, que nous disent-elles vraiment ?