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Se libérer de ses émotions : la fausse promesse du développement personnel

« Je ne comprends pas ce que je ressens. »
« Je me sens dépassée sans raison. »
« J’aimerais juste que ça s’arrête. »
Ce sont les trois premières phrases que Noémie a prononcées.
Depuis plusieurs mois, elle tente de contenir un flot d’émotions qu’elle ne comprend pas. Et cela déborde — autant dans sa vie professionnelle que personnelle.
« Au début, je me suis dit que si je fermais les yeux sur ce que je ressentais… ça finirait bien par passer. »
Mais ça n’est pas passé.
Au contraire.
C’est devenu plus fort.Plus présent. Plus envahissant.
Dans son cas, comme dans celui de beaucoup d’autres, cette saturation ne vient pas de nulle part.
Elle s’est installée au fil du temps, dans un quotidien rempli d’obligations, de rôles à tenir, de choses à gérer.
Et ce qu’on appelle “craquer” arrive souvent bien après les premiers signaux.
Très souvent, les émotions parlent dès le début.
Mais lorsqu’elles ne sont pas écoutées, elles montent en intensité.
Non pas pour nous punir, mais pour nous empêcher de continuer dans une direction qui nous épuise.
Et tant qu’on ne comprend pas le message, quelle autre solution que de faire taire le bruit et chercher à s’apaiser.
Comme beaucoup, elle s’est mise en quête de réponses, d’outils, de clés pour comprendre comment s’apaiser et tenir debout.
Et très vite, elle a découvert ce discours qu’on entend partout :
“Libérez-vous de vos émotions négatives.”
Ou encore, sous des slogans divers comme :
 
  • « 10 étapes pour lâcher prise »
  • « Se libérer de ses émotions négatives »
  • « Détox émotionnelle »
 
Comme s’il s’agissait de toxines.
De déchets à éliminer.
Ce genre de promesse paraît libératrice.
Mais elle installe une attente invisible : celle de réussir à sélectionner les émotions à ressentir.
Et quand une émotion indésirable persiste malgré tous les efforts, c’est soi-même qu’on finit par accuser.
Nombreux sont celles et ceux qui finissent par croire qu’ils/elles n’ont pas “fait assez”, pas “compris assez”, pas suffisamment travaillé sur elles-mêmes.
La culpabilité s’installe.
L’estime de soi vacille.
Et la souffrance émotionnelle s’intensifie,
non pas à cause de ce que l’on ressent…
mais à cause du sentiment d’impuissance face à une émotion qui refuse de disparaître.
Le problème n’est pas ce que l’on ressent.
C’est ce qu’on fait pour ne plus le ressentir.
Les émotions sont rarement le problème de fond.
L’obsession à vouloir les fuir, oui.
À force de chercher à tout prix à les faire disparaître,
elles finissent par prendre toute la place.
On tourne en rond.
On se focalise sur ce qui ne va pas.
Et au lieu de se libérer, on s’enferme.
Un changement de regard peut tout changer.
Noémie avait tout essayé : ignorer, rationaliser, compenser…
Mais plus elle luttait contre ce qu’elle ressentait, plus l’émotion s’installait.
Ce n’est pas une technique ou une méthode qui change la donne.
Mais un basculement subtil :
cesser de voir l’émotion comme un problème à résoudre, et commencer à la voir comme une information à écouter.
À partir de là, quelque chose peut bouger.
Les émotions ne sont pas là pour être effacées.
Elles demandent à être reconnues.
Et entendues.
Même si ça fait mal,
que ça serre,
que ça gratte là où c’est sensible,
et qu’une partie de soi préférerait refermer la porte.
C’est plus facile à dire qu’à faire, c’est vrai.
Mais le premier pas — aussi inconfortable soit-il — est souvent le plus libérateur.
Et parfois, tout commence par cette prise de conscience, que Jung résumait ainsi :
« Ce à quoi nous résistons persiste. Ce que nous acceptons peut commencer à se transformer. »
– Carl Jung
Et si ce n’était pas l’émotion le fardeau,
mais le regard qu’on pose dessus ?
Parfois, il suffit d’un mot pour commencer à se méfier de ce qu’on ressent.
Et ce mot là peut nous couper de nous-mêmes sans qu’on s’en rende compte.
Changer notre vocabulaire, c’est déjà changer notre rapport à soi.
C’est ce que nous verrons dans le prochain article :
👉 Et si “émotion négative” était déjà une erreur de lecture ?